On a pu croire son métier disparu et son souvenir-même éteint, dans le fracas de notre quotidien pressé et mondialisé, mais Tristan Denoyel participe – non sans fierté – à la renaissance de sa profession : rémouleur. Et surtout coutelier. Non plus itinérant mais sédentaire, avec pignon sur rue dans le coeur historique de Béziers.

Tristan Denoyel dans son atelier, son antre, au milieu des outils, des machines, des matériaux : un lieu où il se sent bien quoi

Dans sa vitrine, des couteaux bien sûr, et une ancienne meule de rémouleur. Dans la rue, des regards de passants qui s’allument, s’égaient, s’interrogent, s’arrêtent en tout cas : « bien sûr, ça fait ressurgir de vieilles émotions, note Tristan Denoyel, ça rappelle des souvenirs de couteaux reçus ou offerts, d’anciens rites de transmission. Certains sont même fiers de me dire qu’ils savent faire tourner la meule. Ça suscite un vrai intérêt en tout cas, voire un sujet d’échange entre vieux et plus jeunes ». Et oui, les couteaux font partie de la vie, des gestes des hommes… depuis les premiers silex taillés. Les formes, les matières de l’objet ont évolué, pas sa (ses) fonction(s).

Tristan Denoyel

Et Tristan l’affirme très simplement « les couteaux, c’est une passion qui remonte à mon enfance. J’ai toujours entretenu moi-même mes couteaux, et même si la vie m’a emmené sur d’autres chemins, j’y suis quand même revenu ». Parce que le métier de coutelier et de rémouleur, cet ancien travailleur social l’exerce depuis qu’il a voulu, il y a quatre ans, « changer de vie professionnelle, ça ne me satisfaisait plus ». Idée : « et pourquoi pas quelque chose autour de l’affûtage » ?  

Parce qu’au cœur de sa réflexion, puis de sa pratique il y a cette volonté de « prolonger la vie des outils », et la conviction que le métier de coutelier-rémouleur « devrait être essentiel aujourd’hui. Alors qu’il ne reste pas plus d’une centaine d’entre nous dans toute la France, le besoin est là : on sort de la société du jetable, l’évolution va vers la protection, la prolongation, la valorisation des objets ».

Donc, voilà Tristan à nouveau en apprentissage, chez un coutelier, pour apprendre et « observer, tenir l’outil, expérimenter » dit-il, « parce que c’est la main qui va faire le coutelier, la position, les gestes. Ça sollicite toute une mémoire musculaire, et tous les sens ». L’expérimentation continue sur les marchés de l’Hérault, où il peaufine son savoir. Jusqu’il y a un an.

Joyeux anniversaire !

L’échoppe de Tristan, dans la rue Mairan, a ouvert le 15 octobre 2021. Il la partage avec Amélie Mauri, jeune créatrice de bijoux. A 41 ans il s’est donc « fixé » comme il dit, après des années d’itinérance. Sa grande satisfaction ? « Ça m’a permis d’avoir un atelier et une vitrine » dit-il. Un atelier où il a installé ses outils bien sûr, meules, polisseuses, scies (électriques) ; et puis des lames, qu’il achète, et des essences de bois « pour créer des manches bien sûr. Restaurer ceux des couteaux de mes clients aussi. J’ai là des bois locaux comme l’olivier, d’autres venus du Larzac, magnifiques à travailler ; et puis des bois précieux, exotiques, que j’achète ». Bref c’est son antre, son univers, presque son… laboratoire.

Tristan Denovel, Rémouleur d’Oc

Où créer des couteaux « c’est un plaisir intime, de façonner librement, c’est excitant de créer quelque chose de singulier » sourit Tristan.

Où remettre en état ceux de ses clients « ce qui est excitant là, c’est de rendre sa fonctionnalité à l’objet. Et de voir le regard, le sourire de son propriétaire, parce qu’on a préservé un pan de son histoire ».

Où affûter les couteaux de tout un chacun « une activité essentielle pour moi. Je travaille beaucoup avec des cuisiniers, des coiffeurs, des jardiniers bref, des gens pour qui couper, tailler, effiler fait partie des gestes professionnels essentiels ; mais aussi avec tout quidam dont l’Opinel ou toute autre lame a besoin d’un aiguisage ».

Se souvenir de son grand-père

Mais pourquoi s’installer à Béziers ? « Parce que je suis né à Montpellier, j’ai grandi à Nébian, et j’ai été lycéen ici, à Jean Moulin, donc j’y ai des attaches, des souvenirs. Je suis content aussi d’avoir pu m’installer dans ce quartier ancien et historique, ça va bien à mon métier. Et honnêtement, les loyers restent abordables, même s’ils tendent à augmenter. Je suis seul à exercer dans cette ville, mais il faut malgré tout batailler dur pour vivre. Mais j’y crois : on a besoin de rémouleurs aujourd’hui plus que jamais ».

Dans le magasin s’exposent des dizaines de couteaux, français, japonais, allemands (…) ; pour tous usages et à tous les prix : du plus modeste au plus travaillé (lames en Damas et martelées, manches en bois précieux). Mais son plus beau couteau, Tristan ne le voit pas là « c’est celui que m’a offert mon grand-père : un Laguiole tout simple, avec un manche en corne ».

Les rémouleurs, princes des « gagne-petit »

Au Moyen-âge à Paris, les rémouleurs relèvent de la confrérie des « gagne-petit », qui regroupe divers métiers à très faible revenu (marchand de salades, de peaux de lapin, de tisane, de paniers, bouquetière…). Les « gagne-petit » ont leur chapelle au couvent des Augustins, et pour patronne sainte Catherine d’Alexandrie.

Par extension l’expression « gagne-petit » s’applique aujourd’hui à tous ceux qui ne reçoivent qu’une maigre rétribution, ou n’affichent que peu d’ambition dans leur métier (Dictionnaire Larousse).

Les 4 commandements du possesseur de couteau :

1- Ta lame, toujours tu nettoieras

2- Ta lame, toujours tu affûteras (pour conserver son pouvoir coupant aussi longtemps que possible)

3- Ton couteau, jamais dans l’eau ne plongeras (et surtout pas dans un lave-vaisselle ! Les produits nettoyants corrodent les rivets du manche et abîment les lames)

4- Le manche (s’il est de bois), régulièrement tu nourriras (avec de la graisse, de l’huile…)

Un couteau, ça s’entretient, « ça se bichonne » insiste même Tristan Denoyel : précieux ou pas, un couteau est souvent un souvenir à chérir, ou un objet fait de matériaux précieux, issu de savoir-faire rares.

Monique

Comme un chat, elle a eu plusieurs vies ici et là, vécu des histoires et des moments d'histoire. Mais toujours, dans les regards, les sourires, les mots comme dans les livres, les archives des pays, territoires et villes qu'elle a parcourus, elle a tenté de saisir la "substantifique moelle" (chère à Rabelais) des lieux et des gens. Et elle aime les raconter, ces grandes et petites histoires...